Il est tard dans cette soirée de Fête de la Musique. En fait, nous sommes déjà rendus au 22 juin et je m'apprête à aller me coucher quand tombe sur ma messagerie un courriel surprenant de Philippe Archambeau, rédacteur en chef de RTJ : « Point Blank cherche un chauffeur pour la tournée autour du 16 juillet, es-tu dispo ? ». Je lui réponds donc de ne pas se payer ma tronche ainsi, car même si je connais un peu les membres de Point Blank, et particulièrement Rusty, je n'imagine pas à cet instant leur servir de chauffeur, d'autant qu'un groupe comme ça ne doit pas avoir ce genre de problème. Le tourneur et/ou les organisateurs ont déjà dû tout préparer. Mais Philippe me renvoie par retour de courriel un mot de Rusty sans équivoque. Et là le destin me fait signe : il se trouve que mes vacances commencent le 12 au soir, coïncidence incroyable, d'autant que la suite des opérations va révéler que pour pouvoir m'occuper du groupe à partir du 14 juillet en Suisse, il me faut voyager dès le 13 juillet pour aller chercher le van de la tournée au château de Goncourt! C'est que contrairement à beaucoup de musiciens français pratiquant le rock sudiste, je n'habite pas dans l'est, mais alors pas du tout ! Certains signes agissent parfois comme des révélateurs du destin, et ma disponibilité à point nommé doit en faire partie.
Je finis donc par poser candidature auprès de Didier Céré, ( de Texas Boogie Production) qui a bien voulu s'occuper du problème avec Bernard Gille, l'organisateur du futur concert à Château Goncourt, et dès que Rusty et Larry apprennent que je suis disponible, le groupe décide de ma promotion comme chauffeur/traducteur pour la mini tournée franco-suisse du 14 au 16 juillet, ainsi que pour la journée du 17 à Château Goncourt. Ben si on m'avait dit ça il y a trente ans, pensez-vous que je l'aurais cru? Une chance incroyable comme celle-ci, il faut la saisir au vol ! Elle ne repassera probablement jamais plus dans une vie. Et puis je me vois mal sans raison valable expliquer à Rusty, qui s'est toujours comporté de manière extraordinaire avec moi, que je n'ai pas voulu lui rendre ce service!
Je me retrouve donc à manger de la voie ferrée en ce mercredi 13 juillet : d'abord un TGV inconfortable et bruyant, puis, après un transfert en métro à travers Paris entre Montparnasse et la Gare de l'Est, un très confortable TER de la vallée de la Marne. A la gare de Vitry-le-François, l'excellent Bernard Gille, du Château de Goncourt, qui a été d'une aide indispensable pour cette tournée, en particulier en fournissant le van, m'attendait comme prévu : les choses sérieuses pouvaient commencer.
Le mercredi soir, après une soirée peu banale et très gastronomique avec Bernard, je prends le van pour me rendre à l'hôtel d'où je pars le lendemain matin pour Bâle. Le voyage se passe bien malgré le bémol d'une interminable et pénible traversée de la vallée de la Thur, passage obligé par le col de Bussang pour rejoindre la plaine d'Alsace. Le passage de la frontière me donne l'occasion de donner 40 € de vignette afin de pouvoir utiliser les autoroutes suisses aux douaniers, plutôt serviables par ailleurs, d'autant plus que je m'adresse à eux en allemand, et je me retrouve sur la route du casino. A proximité du bâtiment, j'aperçois une silhouette familière de Texan. Je quitte donc la route principale pour me rapprocher de la porte principale de l'hôtel : mais oui, à griller son mégot sur le pas de la porte, c'est bien B.A., le précieux road manager de Point Blank! Je baisse la vitre pour l'interpeller, et son visage s'illumine. Après de chaleureuses retrouvailles pendant lesquels je vois les membres du groupe arriver petit à petit, je vais garer le van dans le parking souterrain de l'hôtel et je remonte dans le hall pour accomplir les formalités indispensables pour disposer de ma chambre. L'occasion pour Rusty et B.A. de me préciser que je serai traité comme un membre du groupe! Mazette! En effet, on ne se moque pas de moi : je dispose d'une chambre spacieuse dotée de tout le confort.
J'installe tout mon petit matériel, puis je rejoins le groupe, et après les inévitables formalités pour entrer dans le casino, nous nous dirigeons vers la salle de concert pour la balance, bouclée avec une remarquable promptitude. De grands pros, tant les musiciens que Paul « Pappy » Middleton, le technicien son. Je traduis deux ou trois phrases au passage, quand cela devient nécessaire, je précise quelques points au gars sympathique chargé des lumières, je fais quelques clichés pour RTJ... Bref, tout semble rouler quand Rusty m'appelle : il voudrait mon avis sur la set-list! Incroyable... Mais son idée est bonne de vouloir entamer le show par « Freeman », un titre puissant avec quelques passages épineux, propre à installer le public dans l'ambiance. C'est ainsi que j'apprends que pour Point Blank, les membres du groupe savent parfois dix minutes avant le concert ce qu'ils vont jouer et dans quel ordre! Ce n'est pas le cas ici, et B.A. s'empare de la liste pour la recopier en cinq autres exemplaires.
A table, où je me trouve en face de Rusty et Johnny, nous goûtons un excellent repas... que nous n'aurons pas le temps de terminer (!), en raison d'un retour accéléré vers les chambres pour se préparer. Quand je redescends, tous les membres du groupe sont déjà passés au contrôle, et le public a commencé à rentrer. La salle est rapidement pleine de personnes venant de Suisse comme de France, parmi lesquels, visiblement, quelques Américains pur jus. Je décide de vivre ce concert au meilleur endroit pour un musicien : discrètement, juste derrière Paul qui officie à la table de mixage. Les musiciens apparaissent sur scène et c'est parti pour un véritable festival ! Remontés comme des... coucous suisses, les membres de Point Blank assènent à un public enthousiaste une potion à réveiller un mort! Les titres se succèdent, enfilés comme des perles. Au passage, on remarque la prise d'influence croissante de Mick « Mouse » Mayes sur scène, qui chante même quelques parties en solo, incluant celles chantées à l'époque par le regretté Kim Davies. En ce qui concerne l'intensité et de la maîtrise, nous nous trouvons là au niveau du concert de Bobino, à Paris, en octobre dernier, qui avait remis sérieusement les pendules à l'heure en renvoyant les autres grands groupes sudistes au rang de challengers. Le public ne s'y trompera pas, réservant au groupe un accueil tellement enthousiaste qu'après les deux titres de rigueur en rappel, Point Blank reviendra sur scène pour un « Nicole » pas prévu ce soir-là sur la set-list! Entre temps, je m'étais souvenu qu'il fallait faire quand même quelques photos pour RTJ, et je me suis un peu rapproché de la scène pour ce faire. Cela m'a permis d'aller taper sur l'épaule de Michel Levet (Mimi King et ex-Wanted), un guitariste de la région parmi les plus ardents défenseurs du rock sudistes en France, installé comme il se doit au ras de la scène juste sous Rusty Burns. Il croyait bien ne plus me voir! Le rappel s'achevant et les musiciens sortant de scène soutenus par un public conquis, nous en profitons pour tailler une petite bavette en attendant la traditionnelle séance de photos et dédicaces à laquelle le groupe se prête avec beaucoup de simplicité et de bonne volonté. Ces mecs-là aiment leur public, ça se voit : se retrouver avec leurs fans n'est pas une corvée d'après concert mais l'occasion de prolonger encore le plaisir du show. Là encore, je traduis quelques phrases quand on m'appelle, je participe aux séances photos en prenant quelques clichés, tant avec les appareils des fans qu'avec le mien. Deux fans françaises ont récupéré les baguettes de Greg, une pour chacune, et elles essaient de les faire signer par tout le groupe. Je fais signe à Mimi de rester pas loin de moi: la soirée n'est pas terminée!
Quelques minutes après, nous nous retrouvons tous dans le salon de l'hôtel, à deviser joyeusement tout en sirotant quelques boissons (je suis à l'eau, mais ce n'est pas le cas de tout le monde). Mimi est aux anges, assis à côté de Johnny. Des fans français nous rejoignent, et encore une fois, je peux mesurer à quel point nos Texans sont accueillants : ils élargissent le cercle autour des tables pour que les nouveaux arrivants puissent prendre place! Mais les meilleurs moments ont une fin : nous devons traverser la Suisse demain pour nous rendre à Morzine, aussi après des échanges chaleureux sur la soirée, tout le monde finit sagement par aller se coucher.
Le lendemain matin, je suis le premier dans la salle du petit-déjeuner : il est vrai que les musiciens ont à digérer un jet-lag d'une demi-douzaine d'heures. Je suis rapidement rejoint par B.A., toujours sur la brèche, puis par les autres membres du groupe qui profitent de la possibilité d'un « american breakfast », les crèpes nageant dans la sauce rouge des haricots blancs...
Mon premier gros problème va être le chargement du van : c'est que 9 personnes de ce gabarit (je ne dépare pas dans le lot, hélas pour mon tour de taille), ça prend de la place, et le véhicule n'est pas très long. Autant dire que le coffre offre une capacité d'autant plus restreinte qu'il faut y loger les guitares de Rusty et Mouse, et la basse de Kirk. Fort heureusement, je reçois l'aide de quelques bonnes volontés (quand je vous dit qu'ils sont incroyables!), et nous arrivons à boucler tout ça... mais vraiment très juste, en nous y mettant à trois sur le hayon!
Après un faux départ, nous voilà en route. Durant tout le voyage, les places resteront immuables dans le van : à côté de moi Greg et Rusty, Mouse, Larry et Kirk sur la deuxième rangée et Paul, B.A., qui surveille tout son petit monde, et Johnny tout à l'arrière. J'ai préparé mon trajet : Bâle, Berne, Fribourg... Par contre, quelques membres de Point Blank m'ont demandé de descendre jusqu'à Montreux, à la place de longer la ville pour faire directement le tour du lac, afin de voir le fameux casino en flammes en 1971 qui exhalait sa fumée sur l'eau du lac, inspirant ainsi un des plus célèbres morceaux de l'histoire du rock. Accordé sans problème ! On fera donc le détour et une petite pause de quinze minutes à Montreux pour faire des photos d'un site magnifique ! En fait, la pause a duré un peu plus de temps, sous un soleil radieux, mais elle fait du bien à tout le monde.
Au moment où nous arrivons au poste frontière, un petit coup de fil de Didier nous annonce que nous sommes attendus avec un mélange d'inquiétude et d'impatience. Vous bilez pas les gars, on arrive! Auparavant, il faut traverser Evian, puis Thonon avant de s'engager sur la route de montagne qui mène à Morzine et au rassemblement de bikers. Dans ma conduite, j'essaie d'atténuer les effets des centaines de virages à négocier, tout en évitant de heurter (ou de se faire heurter par) les motos qui dansent la sarabande autour du van. Heureusement, à l'intérieur, personne ne semble malade, et Greg continue à shooter les paysages rencontrés, comme il le fait depuis le départ. Le problème, une fois arrivés à Morzine, est de trouver l'hôtel, et de se frayer un chemin jusqu'à l'entrée au milieu de dizaines d'Harley plus rutilantes les unes que les autres. On débarque, et B.A. et moi croisons dans l'hôtel un Philippe Manoeuvre très affairé qui se souvient quand même, à l'écoute du nom du groupe, de ses premiers albums.
A quinze heures, on arrive à la scène, très grande et située au fond d'une vaste place, et on fait connaissance avec Pascal, le chaleureux régisseur de la scène. Les petits problèmes sont rapidement aplanis et le groupe réussit une balance ultra rapide. A 16 heures, tout est dans la poche, on n'a pas de retard. Pascal se détend et parle avec Larry d'un ami commun. Séquence émotion, car l'ami a disparu depuis. L'ambiance un peu inquiète à notre arrivée est repartie au beau fixe, d'autant que les trois titres qui ont servi pour la balance ont rassuré tout le monde : ça promet pour ce soir. On peut aller manger au soleil des Alpes (Rusty, Mouse et Johnny en profitent pour décider de la set-list, avec cette fois « Freeman » en rappel) et se reposer avant le concert. En fait de repos, Greg et Kirk viennent me chercher à ma chambre pour une promenade dans Morzine jusqu'à la piste de luge d'été, ce qui nous permet quelques clichés du paysage et des rues remplies de motos avant le retour à l'hôtel. Quand le groupe décide de revenir en coulisses de la scène, Johnny Gallagher s'apprête à y rentrer et son set puissant va faire trembler la structure métallique de la scène et du backstage. Après un show éclectique, il va terminer par un... « Freebird » bien senti. L'ambiance est déjà tournée vers le sud... Johnny Gallagher est félicité par quelques membres du groupe. Il est au même hôtel que nous et lui aussi respire la gentillesse. Le lendemain, nous ferons quelques photos tous ensemble devant le van. En sortant des loges à 23 heures pour le concert de Point Blank, nous sommes saisis par le froid. Beau temps plus altitude (1000 m) forment une combinaison redoutable, en particulier pour les doigts. Du coup, bien que démarrant à une allure très estimable, le groupe semble un poil moins saignant que la veille, mais la chaleur et l'excitation de la grande scène lui font rapidement retrouver son allure de croisière, c'est à dire cartonner autant qu'il est possible. C'est fou l'intensité musicale que ces mecs peuvent développer. Le volume sonore énorme sur scène (les musiciens ont des bouchons d'oreille) met à mal la sono des retours. Tout est dans le rouge ! Greg bastonne à la batterie, sans retenue, sans se donner le moindre répit, et sans rater pour autant aucun break ni aucune subtilité : du grand art qui demande une sacrée condition physique ! Et il est vigoureusement soutenue par la basse à cinq cordes de Kirk qui pulse à n'en plus finir. Au bas de la structure métallique, un public frigorifié fait un triomphe aux Texans qui donnent tout ce qu'ils ont avec une générosité incroyable, poussés par la masse humaine qu'ils ont devant leurs yeux. Encore un concert de haute volée, avec un Mouse virevoltant et très en forme qui se sert à fond de l'espace disponible et des fondateurs, Rusty et Johnny, absolument impériaux. Le set se termine par « Highway Star », qui déboule à toute allure, mais la foule réclame encore plus, et aura donc deux titres supplémentaires, dont justement un « Freeman » de haute volée. A la sortie, Johnny et Larry, épuisés mais heureux, éprouvent quelques difficultés à mettre un pied devant l'autre, marqués autant par une intense dépense d'énergie que par la différence de température avec l'après-midi. Je bénis le ciel d'avoir à la fois un bon sweat-shirt et mon blouson. Les visages sont marqués par l'effort. Il est temps de récupérer, d'autant que les fans, transformés sur place en stalagmites, n'ont pas traîné sur la place, comme en témoigne Mimi, venu en force avec des potes, que j'ai un bref instant au téléphone : ge-lés! On n'en rencontrera donc pas cette fois-ci aussitôt après le concert. Un bon repas dans un restau un peu plus loin remettra tout le monde d'aplomb dans une ambiance toujours aussi décontractée et joyeuse, surtout après le discours reconnaissant et enthousiaste du tourneur, et toujours aussi accueillante pour les quelques fans réfugiés au début près du bar, mais qui vont finir par montrer le bout de leur nez pour quelques commentaires flatteurs (à juste titre!) et une petite séance photo pour le souvenir.
A peine couchés, il faudrait presque se réveiller : c'est qu'il y a de la route jusqu'au Château de Goncourt ! Et puis nous sommes samedi, jour important pour le chassé-croisé des vacanciers. Nous quittons donc Morzine, avec une confortable marge de manœuvre. Bien nous en a pris : nous nous heurtons aux environs de Nantua à un gigantesque bouchon d'où il est impossible de s'échapper pour cause de rénovation d'un tunnel incontournable à ce stade de la route ! Franchement, à la mi-juillet, est-ce le bon moment ? Bref, par la grâce de ce contre temps inattendu (car bien sûr signalé nulle part, et sans déviation mise en place...), nous voilà déjà à la bourre ! C'est ça aussi les imprévus de la route! Une fois sortis du piège, nous remontons donc fissa via la Bourgogne et le Jura.
Nous approchons de Chaumont, où j'ai prévu un ravitaillement en carburant quand la feuille imprimée de mon trajet préparé par un site très connu d'itinéraires m'indique de prendre l'A5. Au premier croisement d'autoroutes, l'alternative se présente effectivement et je tourne donc vers l'A5. Pourtant, je ne suis pas très tranquille : nous devons sortir à la sortie n°24 et nous parcourons de nombreux kilomètres avant la première sortie indiquée, or elle ne porte que le n°8 ! Et la suivante, la n°9, se fait elle aussi longtemps attendre. Or je ne sais pas exactement où j'en suis au niveau carburant, la faute à une jauge stupidement conçue avec un affichage par diodes, incapable de nous renseigner à 10 litres près !Avec l'aide de Greg, je me plonge fébrilement dans l'examen de l'Atlas routier que j'ai pris la précaution d'emmener (excellente idée, ça, surtout en l'absence de GPS), et là il ressort bientôt que le site d'itinéraires nous a expédié de manière parfaitement idiote sur la mauvaise route! Et nous sommes en train de nous éloigner à toute allure de notre destination, la poisse ! Il faut trouver un moyen de revenir vers Vitry-le-François et le château de Goncourt. Tout en continuant à rouler (où sont les aires?), Greg et moi auscultons les cartes d'un œil inquiet. Naturellement nous sommes comme par hasard entre deux cartes différentes, pour faciliter les choses, et obligés de tourner les pages comme des malades pour nous y retrouver, le tout en conduisant (quelquefois Greg tient le volant à ma place quand je regarde la carte après avoir pris la précaution de m'assurer qu'il n'y avait personne devant sur une bonne distance)!
Une aire d'autoroute se profile, je décide de m'y arrêter faire le point définitivement lorsque d'un coup le moteur coupe. Panne de gasoil ! Avec l'atlas sur le volant, je n'ai pas vu la dernière diode s'éteindre, et là il ne reste plus rien, rien de rien dans le réservoir ! Grâce à l'élan, j'arrive à me garer sur le côté de la bretelle : décidément, quand la galère commence... On aurait largement eu assez de gasoil pour contourner Chaumont, et donc pour trouver une pompe si j'avais été bien aiguillé ! Maintenant où trouver ce carburant? Depuis quelques kilomètres, c'est un peu le désert. Notre chance, c'est que l'aire d'autoroute est doublée d'une sortie que je comptais éventuellement prendre pour quitter l'autoroute, et qu'en contrebas de cette sortie on aperçoit des bâtiments agricoles. S'il y a quelqu'un là...
Il n'y a pas de temps à perdre : après avoir prévenu Bernard Gille au Château de Goncourt de notre infortune, et encouragé par le groupe, qui fait là preuve d'une mentalité exceptionnelle, je prends mon blouson et je file vers la sortie. Je descends vers les bâtiments agricoles en mode footing et là la chance me sourit : quelques minutes plus tard, c'était rapé! J'ai bien fait de courir : au moment où j'arrive devant le portail qui ferme l'accès aux bâtiments, je vois un tracteur en venir vers moi. L'ouvrier agricole s'apprête à quitter les bâtiments pour continuer ailleurs son boulot. Quelques mots et l'ouvrier agricole accepte avec gentillesse de me déposer au village suivant puisque c'est son chemin. Je grimpe derrière lui et toute l'équipe de Point Blank perchée sur la bretelle près du van me voit ainsi quitter de loin les bâtiments agricoles, suspendu à l'arrière du tracteur! En arrivant au village, qui s'appelle Robécourt, j'aperçois un habitant, la quarantaine, en train de tondre sa pelouse et je demande à mon conducteur de fortune de m'arrêter près de son jardin.
Pour la deuxième fois de la journée, je vais avoir de la chance : je suis tombé sur un villageois particulièrement serviable qui commence par... tomber en panne d'essence en voulant rentrer son tracteur tondeuse ! Je me fais un plaisir de l'aider à pousser son engin dans le garage, et cet homme obligeant, intelligent et aimable va m'emmener à travers la campagne dans son 4X4 double cabine à travers des chemins de campagne assez improbables, mais plus directs que les routes classiques jusqu'au plus proche poste à essence, dans un village situé à une quinzaine de kilomètres de là ! Comme me le dira un peu plus tard Philippe Archambeau, c'est la Course Au Trésor cette histoire ! Oui, mais sans les hélicos... Au poste à essence par chance, je tombe aussi sur quelqu'un de serviable qui me trouve des jerrycans, avant de les remplir, et après paiement nous voilà repartis cette fois dans la direction de la bretelle d'autoroute! Chemin faisant, mon aimable sauveteur m'informe qu'il n'y a pas de pompe à gasoil sur les moteurs de la marque du van, et qu'il faut prier le ciel que le moteur veuille bien redémarrer après avoir insisté sur le démarreur, mais sans pour autant vider la batterie... Bref, si le van ne repart pas bien sagement, nous sommes bel et bien en carafe ! Arrgh ! Et il m'indique le chemine le plus direct pour regagner St Dizier, passage obligé pour rejoindre le château de Goncourt.
Arrivé grâce à ses bons soins à la cabine de péage, je remercie cet aimable habitant de Robécourt de son inestimable action. J'espère qu'un de ses proches lira ces lignes et le préviendra de sa présence infiniment sympathique dans cette rocambolesque histoire. Je rejoins le van au pas de course muni de mes deux jerrycans, et j'arrive complètement hors d'haleine pour dégager mes Texans, qui ne parlent pas français, des griffes pas trop acérées d'une patrouilleuse d'autoroute plutôt coopérative. Des vivats et même un inattendu « Good job! » m'accueillent ! Comme nous sommes engagés sur la bretelle, nous couperons à l'amende. Une des multiples bouteilles en plastique vides est rapidement coupée pour nous servir d'entonnoir et je verse les cinq premiers litres dans le réservoir. Je me mets au volant et essaie de démarrer. Rien au premier essai, bien entendu, je m'y attendais. Rusty, très coopératif, essaie de m'expliquer qu'il faut pomper sur l'accélérateur. Je prends le temps de lui expliquer rapidement que ça ne sert à rien sur un moteur Diesel à injection directe, puis je fais un nouvel essai infructueux, mais plus encourageant : ça frémit Au troisième essai, le moteur redémarre à mon grand soulagement sous les acclamations du groupe. J'embarque le groupe et vais jusqu'à la cabine de sortie de l'autoroute sur les conseils de la patrouilleuse très anxieuse pour notre sécurité, puis je verse les cinq litres suivants avec l'aide de Kirk. Remonté dans le van, j'explique à Greg le chemin qu'on doit suivre. L'angoisse de mes passagers, vu le désert rural qui nous entoure, est de remplir au plus tôt le réservoir de carburant, puis de se rendre à peu près à l'heure au Château.
Nous quittons l'autoroute direction Graffigny et Bourmont. Nous trouvons rapidement les directions et nous nous élançons sur une route bien droite, à peu près sûrs d'avoir cette fois pris le bon chemin. C'était compter sans la malice de la DDE locale ! Inquiet de ne pas voir arriver ni Graffigny ni Bourmont, je m'enquiers auprès de Rusty et Greg, mes navigateurs qui discutent le nez sur... les cartes (nous sommes toujours entre deux pages!) pour savoir où j'en suis sur ma route. Ils sont bien sûr incapables de me le dire, ayant débattu de la suite du trajet au lieu de regarder les panneaux. Au premier village, je prends son nom et je décide de m'arrêter faire le point : horreur, nous sommes arrivés plein nord à Sartes au lieu de prendre plein ouest vers Bourmont ! Nous avons raté un petit embranchement, le panneau n'étant vraisemblablement placé, comme souvent, que dans un sens, le « mauvais » pour nous! Je refais un itinéraire d'urgence, le relaie à Greg, qui se montre un très bon copilote. Je fais demi-tour pour essayer de prendre une route de fortune passant par St Blin, Rimaucourt et Joinville. Je sens bien à l'intérieur que les mines s'allongent... Mais pas un mot ne sera prononcé, rien! Ces mecs ont décidé de me faire confiance, ils ont eu le temps de voir pendant ma course au gasoil que je n'y étais pas pour grand chose dans l'erreur de trajectoire, et ils ne me font absolument aucun reproche ! Grandiose !
Par contre, ils continuent à me rendre de sacrés services, comme Rusty qui me signale juste à temps dans le rétroviseur la présence d'une voiture de gendarmerie. Pas de bol, elle nous suivra pendant très longtemps, jusqu'à Rimaucourt, sur des routes par ailleurs absolument désertes, m'empêchant de grappiller de précieuses minutes! Quelle poisse ! Et cela aurait pu plus mal se terminer, car entre les bagages occultant la visibilité derrière, la route devant moi, l'itinéraire, et Greg qui m'aidait du mieux qu'il pouvait, toute mon attention était tournée vers ailleurs que sur mon rétroviseur extérieur droit, le seul où je pouvais apercevoir le véhicule de nos pandores roulant soigneusement dans l'angle mort !
Rimaucourt : course à la station service. Nous savons, par une mauvaise expérience un peu plus tôt, que les cartes bleues de mes amis ne fonctionnent pas ! Il nous faut trouver une pompe soit avec une caissière, soit avec un autochtone serviable qui accepte du liquide en échange de l'emploi de sa carte ! En fait, la supérette avec poste d'essence se trouve en dehors de notre route, à la sortie de la ville, mais au point où nous en sommes... Et là miracle, un jeune homme accepte l'échange de 40€ de liquide contre l'emploi de sa carte pour du carburant. Ouf ! Qu'il soit lui aussi remercié ! Si la région se désertifie, hélas, il semblerait que les gens qui restent au pays soient d'une extrême serviabilité, et mériteraient un meilleur soutien économique, mais c'est un autre débat. Nous quittons Rimaucourt sur la « bonne » route cette fois, direction Joinville. Par la grâce de cette randonnée plutôt étrange pas inscrite au programme, mes amis texans observent une certaine France très rurale et pour eux très exotique. Bernard s'inquiète au Château : je le rassure : nous avons du carburant, je me localise, il connaît bien l'endroit, son angoisse doit baisser d'un bon cran ! C'est que cette panne sur l'autoroute entre Chaumont et Contrexéville, pour un groupe en retard pour cause de mauvais itinéraire, ça ne devait pas contribuer à sa tranquillité ! Mais Bernard est lui aussi pourvu de qualités humaines exceptionnelles, et il me laissera gérer la situation sans stress supplémentaire.
Finalement, eh bien figurez-vous que nous arriverons à temps! Bon, la balance sera un peu courte, mais je vous ai déjà mentionné les extraordinaires habileté et professionnalisme de Point Blank dans l'exercice. Bien sûr on a un peu court-circuité l'apéro mais l'accueil chaleureux a compensé, et puis comme dira Larry en me félicitant (?!) : « We did it! ». Car une fois arrivés, les Texans, soulagés sans doute, adopteront encore avec moi une attitude incroyablement gratifiante. C'était probablement la meilleure chose à faire d'ailleurs car non seulement j'ai essayé de faire le maximum pour remplir ma mission, mais ils ont eu une conduite tellement élégante dans cette affaire que je suis prêt depuis à leur rendre tous les services que je pourrai ! Des gentlemen, vraiment ! Un grand groupe servi par des personnes d'une rare qualité humaine et d'une mentalité irréprochable, avouez que ce n'est pas si fréquent !
Nous commençons tout juste à manger quand les premières notes du set de Plug'n Play retentissent. Rusty, qui s'intéresse et s'est renseigné sur ce groupe auprès de moi, dresse l'oreille. Et presque aussitôt, sans cause à effet, enfin j'espère, les gouttes de pluie qui voletaient sans trop de méchanceté se transforment en vigoureuse averse! Le soirée sera humide, très humide même mais quelques musiciens français appartenant à deux groupes vont dans des conditions atmosphériques difficiles réaliser une sorte de rêve : la première partie de Point Blank !
Je ne verrai ni la fin du set de Plug'n Play, ni le début de celui de Calibre 12 : il faut emmener tout mon petit monde à l'hôtel pour que chacun prenne possession de sa chambre, se prépare et mette ses habits de lumière. Une brève pause mais certainement bienvenue pour eux dans une journée plus stressante que prévue. De retour au Château, Point Blank ne produira pas le meilleur concert de la tournée (faut dire que la barre avait été placée très haut!) : après avoir tout donné la veille à Morzine, après avoir passé une journée fatigante dans le van, et s'être vus rattrapés par le décalage horaire, le tranchant s'est un peu émoussé, mais le groupe a pourtant probablement là livré sa plus extraordinaire performance. Par une pluie battante qui trempera quelques fans (n'est-ce pas John?) et photographes, dans un air humide et devenu froid en fin de soirée, le groupe va assurer un set absolument remarquable au vu des conditions. Professionnel jusqu'au bout, et animé par une authentique passion, il va une nouvelle fois se produire avec une invraisemblable générosité et nous livrer quand même d'excellentes versions de ses classiques. Point Blank a fourni sans le vouloir ce soir-là un formidable exemple à suivre à tous les musiciens présents, ainsi qu'à tous les bénévoles de l'association de Bernard Gille. Chapeau Messieurs!
Et après le spectacle et un court instant à récupérer et à s'occuper du matériel, tous les membres du groupe vont venir sous la grande tente répondre avec le sourire et une immense gentillesse aux questions et attentes des nombreux fans humides mais présents. Les flashs vont pouvoir crépiter, les disques et les billets vont être signés dans une grande disponibilité et dans la bonne humeur entre deux verres de « soup» locale. Faut bien se réchauffer un peu... Quand le talent rivalise à ce niveau avec la qualité humaine, on ne peut que s'incliner bien bas, et ceux qui ne connaissaient pas encore le groupe avant de venir les voir au Château sont repartis séduits et heureux, ne regrettant pas leur soirée malgré des conditions météorologiques vraiment pas favorables. En conséquence aussi, les organisateurs sont alors toujours prêts à recevoir un groupe de ce niveau et de cette qualité, même au prix de petits sacrifices et dérangements, n'est-ce pas Bernard?
Il est bien tard lorsque je ramène à l'hôtel des artistes fourbus mais ravis de leur soirée, du contact avec leurs fans, de l'accueil chaleureux et prodigue en remontant régional liquide concocté et dispensé par l'organisation... Les essuie-glaces balaient le pare-brise, les phares percent la nuit champenoise, mes pieds me font un peu sentir que la journée fut bien longue pour moi aussi, mais les trois concerts prévus ont pu être assurés. Ma mission ne se termine pas tout à fait là : le dimanche midi, je vais reprendre le volant du van pour conduire mes passagers au grand repas de fête organisé au Château par Bernard avec ses bénévoles, dans une ambiance des plus conviviales, mais c'est déjà une autre histoire. Bernard se chargera d'amener Point Blank à l'avion pour Varsovie. Je quitterai tout le monde en me disant qu'il est bien dommage que le Texas et le château de Goncourt soient si loin de chez moi, car j'ai passé quatre jours exceptionnels, du mercredi soir au dimanche soir. Vraiment, quand une chance pareille se présente, et qu'on a tout pour la saisir, ce serait très très bête de ne pas le faire !
Y. Philippot-Degand
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